Hausse record des températures, phénomènes climatiques extrêmes, accentuation de la pollution de l’air, des sols et des eaux, diminution de la biodiversité… Face aux constats scientifiques et empiriques du changement climatique et de l’urgence écologique, les entreprises sont appelées de toute part à réduire leur impact environnemental, en opérant une « transition rapide, juste et équitable » de leur consommation énergétique et de leurs modes de production (COP28, 2023).
La nécessaire accélération de la transition écologique exige donc de procéder à des changements significatifs de l’organisation et des conditions de travail, avec des effets plus ou moins prévisibles sur le vécu professionnel des collaborateurs.
Au cœur des enjeux sociaux et environnementaux, la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) émerge alors comme un outil-clé, moteur d’une « transition écologique socialement juste » (ANI du 11 avril 2023, relatif à la Transition Ecologique et au Dialogue Social).
Ecologie et QVCT : même combat ?
Au cours des dernières années, la prise de conscience des enjeux écologiques a considérablement progressé. En 2019, l’enquête Conditions de travail menée par la Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES) soulignait que 31% des actifs estimaient que leur travail pouvait avoir « des conséquences négatives pour l’environnement ». Or, ces préoccupations constituent en elles-mêmes un facteur de risque psychosocial, lié au « conflit de valeurs », c’est-à-dire au fait de devoir réaliser des tâches qui vont à l’encontre de ses propres valeurs éthiques. Cette situation peut avoir de lourdes conséquences sur le vécu professionnel (perte de sens, de motivation, désengagement) et a fortiori sur la santé psychologique (sentiment de culpabilité, symptômes anxieux ou dépressifs…).
Ce premier point souligne donc l’existence d’un lien entre les pratiques écologiques de l’entreprise comme facteur de QVCT.
Réciproquement, la QVCT peut être un levier de transition écologique. En effet, une étude menée par Thomas Coutrot (2021) met en exergue l’existence de « liens étroits entre risques professionnels et environnementaux » (p. 195) ; de sorte que les salariés exposés à de fortes contraintes dans leur travail (faible autonomie, charge de travail élevée, faible soutien, efforts physiques intenses…) sont plus enclins à estimer que leur travail a des conséquences néfastes sur l’environnement. L’auteur avance également un constat similaire de la part des salariés exposés à des situations précaires, et/ou peu diplômés, et/ou avec de faibles perspectives d’évolution…
En définitive, ces résultats soulignent un lien entre les facteurs objectifs de QVCT (prévention des risques, amélioration des conditions d’emploi et de travail, développement des collaborateurs…) et la performance environnementale.
Mieux encore, cela suggère que, en s’appuyant sur le dialogue professionnel et l’expression des salariés, la QVCT peut faciliter l’identification des procédés perçus comme nocifs, et soutenir une démarche d’amélioration continue vers des pratiques plus durables.
La QVCT : accélérateur de la transition
Comme nous venons de le voir, la transition écologique constitue une opportunité d’améliorer les conditions de vie au travail et le vécu des salariés face certaines de leurs missions. Toutefois, elle peut également être source d’instabilité et d’incertitudes, tant sur le plan opérationnel relatif à la faisabilité des actions, mais aussi sur le plan économique et social, à travers la mise en œuvre des transformations qu’elle exige (modification des infrastructures, formation du personnel, gestion des trajectoires et transitions professionnelles…).
Le risque est grand de voir s’imposer des actions « par le haut » qui, bien que tout en faveur de la transition écologique, ne prennent pas suffisamment en compte leur impact sur la Qualité de Vie et des Conditions de Travail. Dans de tels cas, on peut s’attendre à ce que les changements entrepris soient, au mieux, long et couteux ; ou pire, qu’ils soient sources de tensions et/ou de mal-être. Comme tout changement, la transition écologique doit être accompagnée.
A cette fin, initier une démarche de transition écologique par le prisme de la QVCT offre l’avantage de structurer un processus de changement en 4 étapes, favorisant l’appropriation et l’application des transformations de la part des salariés :
- Réalisation d’un état des lieux partagé des besoins de l’entreprise en matière d’évolution des pratiques écologiques, en impliquant directement les collaborateurs ;
- Hiérarchisation collective de ses priorités, compte tenu de son environnement et de ses spécificités (taille, secteur d’activité, moyens de production, relations avec les parties prenantes, ressources disponibles…) ;
- Co-construction de solutions pragmatiques tenant compte des effets (positifs et négatifs) sur les situations de travail (infrastructures, conditions matérielles, procédés, qualité du travail, impact sur les relations, évolutions des des métiers…) ;
- Mise en œuvre et suivi des solutions-actions sur la base de critères partagés et mesurables.
En partant de l’interrogation des besoins « du terrain » et en associant l’ensemble des salariés dans l’élaboration des actions, l’approche de la transition écologique par la QVCT favorise une meilleure anticipation des freins et les compromis « acceptables ». De ce fait, elle agit comme accélérateur de la transition.
Par la suite, la mise en œuvre et le suivi des actions en faveur de la transition écologique pourront s’intégrer à des instances de pilotage et des outils de prévention en santé-sécurité / pilotage de la QVCT… dont la plupart existe déjà !
Transition écologique & QVCT : Vers une démarche intégrée
Parce que les enjeux de la transition écologique des entreprises sont intrinsèquement liés à ceux de la prévention des risques professionnels et de la santé sécurité au travail, ils doivent s’appuyer sur des repères communs. Ce prérequis permet ensuite aux acteurs sociaux (employeurs, salariés, CSE, CSST, syndicats) de mieux encadrer et organiser le dialogue autour des enjeux sociaux et environnementaux de l’entreprise.
À noter ici que des études ont montré que la présence d’instances de représentations du personnel (syndicats, CSE, CSST) est généralement associée à un moindre risque de conflit de valeurs lié à l’environnement, car elles incitent davantage le management à déployer des pratiques de prévention des risques sanitaires et environnementaux (Antonioli, Mazzanti, 2017). De même, les salariés ayant connaissance du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) sont significativement moins nombreux à estimer que leur travail a un effet néfaste sur l’environnement (Coutrot, 2021).Ces arguments plaident donc en faveur d’une approche intégrée de la prévention en santé-sécurité et de la transition écologique, en s’appuyant des outils communs.
Dans la même optique, l’Accord National Interprofessionnel du 11 avril 2023 propose une revue des outils juridiques existants, auxquels il est possible d’intégrer le sujet la de transition écologique.
Pour ne citer que les principaux, nous retiendrons notamment :
Les outils liés à l’amélioration des conditions de travail, en particulier :
- L’évaluation des risques professionnels « y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations, dans l’organisation du travail et dans la définition des postes de travail » et leur transcription dans le « Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels » (Art L. 4141-2 du Code du Travail).
Les outils relatifs à la politique de gestion des ressources humaines, dont :
- « L’information des travailleurs sur les risques que peuvent faire peser sur la santé publique ou l’environnement les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en oeuvre par l’établissement ainsi que sur les mesures prises pour y remédier ». (Art L. 4141-2 du Code du Travail).
- « Le plan de développement des compétences de l’entreprise : gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) intégrant les enjeux de la transition écologique pour anticiper les évolutions en termes d’emplois et de compétences au regard de la stratégie de décarbonation et d’adaptation de l’entreprise ou du groupe face aux changements environnementaux» (ANI du 11/04/2023) ;
- La politique de rémunération de l’entreprise permettant d’articuler performance économique, sociale et environnementale (ibid)
Les outils visant à la prise en compte et au suivi des enjeux écologiques, dont :
- Le droit d’alerte en cas de risque grave, et les attributions du CSE (y compris en matière environnementale) leur permettant de proposer des améliorations transverses ;
- La base de données économiques, sociales et environnementales (à partir de 50 salariés), rassemblant les informations relatives à la politique sociale et environnementale de l’entreprise, et à ses résultats (économie circulaire, émissions de gaz à effet de serre, production et gestion des déchets, gestion durable des ressources…)
Aujourd’hui largement répandus dans les entreprises, ces outils sont autant de supports de pilotage directement exploitables pour assurer le suivi des actions initiées en faveur d’un travail plus soutenable et durable. L’articulation des indicateurs de la RSE ne doit pas appeler les entreprises à « faire plus ». La réconciliation du « S » et du « E » doit, au contraire, les aider à « faire mieux ».
Conclusion :
La question des conséquences environnementales du travail n’a que trop rarement été traitée depuis l’intérieure des entreprises, et moins encore par l’implication des travailleurs eux-mêmes. De ce fait, les salariés comme les dirigeants peuvent légitimement avoir le sentiment d’un empilement d’injonctions et de projets dirigés vers des objectifs « sociaux » d’un côté, et « environnementaux » de l’autre ; menant trop souvent à de sacrificielles luttes. La pression citoyenne autour des enjeux sociaux ET écologiques – tant dans leur choix de carrière que dans leur choix de consommation – nécessite aujourd’hui de dépasser ces antagonismes par la QVCT, pour enfin conjuguer bien-être au travail et performance durable.