Adoptée en août 2021, la loi Santé au Travail (n°2021-1018, applicable depuis le 31 mars 2022) a trop peu été évoquée au regard de ses conséquences sur le management des organisations. En ne l’associant plus seulement au dialogue mais également aux obligations de santé et de sécurité, le cadre juridique de la QVCT s’étoffe et son champ d’action s’affirme plus largement, en prise directe avec le travail et le fonctionnement des organisations. Prenons la mesure de ce qui change pour les entreprises et les salariés, avec une revue des premiers résultats tangibles produits par son application.
Un véritable changement de paradigme
La loi Santé au Travail s’inscrit dans un long mouvement de société accompagné règlementairement par les ANI et les premières lois portant sur les risques psychosociaux (loi de modernisation sociale 2002, ANI 2008 sur le stress au travail), puis la QVT / QVCT (ANI égalité professionnelle 2004, ANI QVT 2013, lois Rebsamen 2015 et El Komry 2016 sur la QVT, ANI QVCT décembre 2020, la loi Santé au Travail). Ces évolutions réglementaires confirment un changement de paradigme en matière de prévention, visant à mieux concilier travail et épanouissement individuel et collectif.
Pour beaucoup de travailleurs (salariés, fonctionnaires, entrepreneurs…), la réalisation de soi et le bonheur relèvent autant (voire plus) de la vie privée que de la vie professionnelle. Dans ces conditions, il est compréhensible que les travailleurs se désinvestissent dès qu’ils le peuvent, si leur travail nuit à leur santé ou a un impact négatif sur leur vie privée. C’est une des causes de la « grande démission » de l’après Covid. Dès lors, employeurs et encadrants doivent être attentifs aux effets concrets des conditions de travail qu’ils proposent, et de leurs conséquences sur la santé des salariés. Cette nouvelle variable des organisations est désormais bien installée !
La loi « Santé au Travail », par son approche centrée sur la prévention primaire – autrement dit, visant à évaluer les facteurs de risques professionnels en vue de supprimer (ou, à défaut réduire) leurs effets, le plus en amont possible – rompt définitivement avec une vision cantonnée à la « réparation » des altérations de la santé liées au travail.
Ce changement de paradigme est traduit par l’évolution de deux dénominations :
- L’introduction de la « Qualité de Vie et des Conditions de Travail » (QVCT) en lieu et place de la « Qualité de Vie au Travail » (QVT) dans tous les textes de loi. Loin d’être anecdotique, l’emphase portée sur les « Conditions de Travail » s’inscrit en rupture avec une conception « cosmétique » de la QVT, affectant des sujets périphériques au travail (ex. : ateliers collectifs, méditation, relaxation…). Le nouvel acronyme permet de réaffirmer la pertinence d’une approche systémique intégrant le travail lui-même ainsi que ses conditions de réalisation, et portant sur des sujets à fort impact pour la santé des salariés (prévention des risques psychosociaux, sécurité au travail, organisation du travail, qualité du travail, pratiques managériales, gestion des parcours professionnels, conduite des transformations…).
- La requalification des « Services de Santé au Travail » en « Services de Prévention et de Santé au Travail », afin de souligner la primauté donnée à leurs missions de prévention et notamment axée sur les conditions de travail, dont « l’impact du télétravail sur la santé et l’organisation du travail» (l’article L4622-2 du CT). Au-delà des mots, cette modification s’accompagne d’une évolution du champ d’action et de l’organisation desdits services.
Quels leviers introduit la loi pour renforcer la prévention en santé au travail et la QVCT ?
Pour satisfaire les ambitions affichées, la loi « Santé au Travail » entend toujours s’appuyer sur le dialogue social (Articles L2242-17 à L2242-19-1). Elle renforce son rôle et introduit notamment de nouvelles durées minimales de formation à destination des membres des instances représentatives du personnel (modification de l’article L2315-18 du CT).
Surtout, elle confirme la place de la QVCT dans les négociations annuelles (NAO) à défaut d’accord d’entreprise QVCT fixant le calendrier, les thèmes, la période et les modalités de négociation.
Les négociations annuelles ou l’accord doivent aborder au moins tous les 4 ans :
- L’expression directe et collective des salariés notamment au moyen des outils numériques
- La qualité des conditions de travail, notamment sur la santé et la sécurité au travail et la prévention des risques professionnels
- L’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle
- Le droit à la déconnexion (accord ou charte)
- La lutte contre les discriminations en matière de recrutement, d’emploi et d’accès à la formation
- L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes notamment en matière de rémunération, de conditions de travail et d’emploi, de formation, de promotion…
- La prévoyance et la complémentaire santé
- L’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés
- La mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail pour les entreprises de plus de 50 salariés.
Par ailleurs, les évolutions apportées au Code du Travail, par la modification de l’article 4121-3 et l’introduction de l’article 4121-3-1, obligent désormais les entreprises à prendre en compte les facteurs de risques et de contraintes professionnels dans leur évaluation, afin d’envisager des actions concrètes, opérationnelles à fort impact en matière de prévention et d’amélioration de la Qualité de Vie et des Conditions de Travail. Dans cette perspective, le rôle du Document Unique est renforcé. Les actions de prévention et d’amélioration des conditions de travail deviennent une composante du DUERP (Code du Travail article L4121-3-1) pour toutes les structures. Celles de 50 salariés et plus doivent en outre rédiger un Programme Annuel de Prévention des Risques Professionnels et d’Améliorations des Conditions de Travail, (appelé PAPRIPACT) ; lequel doit obligatoirement préciser « pour chaque mesure, ses conditions d’exécution, des indicateurs de résultat et l’estimation de son coût », et définir « un calendrier de mise en œuvre ».
Ainsi, la QVCT devient réglementairement indissociable de la santé, de la prévention des risques – en particulier des RPS (risques psychosociaux), tout en l’élargissant à l’ensemble des conditions de travail et d’emploi ainsi qu’au rôle sociétale des organisations avec l’inclusion, la lutte contre les discriminations, l’équilibre de vie personnelle / vie professionnelle…
En conclusion, quels effets concrets pour les salariés et l’entreprise ?
L’application de la loi « Santé au Travail » a d’ores-et-déjà produit des effets tangibles et perceptibles. D’abord, sur le plan du suivi médical en santé au travail, l’alignement de l’offre de services rendus par les « Services de Prévention et de Santé au Travail » permet à chaque travailleur de bénéficier d’un suivi de même qualité.
Ensuite en précisant les périmètres de la QVCT, le lien avec la santé, l’évaluation et la prévention des RPS, les modalités de déploiement de la QVCT (accord, NAO, expression des salariés), les entreprises disposent d’un cadre plus clair pour s’engager dans une démarche fiable et pragmatique, centrée sur l’organisation et les conditions travail.
Les effets de cette loi, qui ancre la QVCT dans la prévention primaire, s’observeront dans le temps, à travers des indicateurs de santé, d’organisation du travail, de sens, de satisfaction de son travail, de satisfaction au travail, mais aussi d’attractivité, de fidélisation des talents et d’engagement. Et in fine, à travers les indicateurs de valorisation de l’activité (RSE, satisfaction client…). Au bout de ce chemin se trouve la performance sociale et durable.